OGM

Oh j’aime! OGM pas?

ID-100129687Je n’ai jamais pris part au mouvement anti-OGM, mais comme la majorité de la population, j’avais voté pour l’instauration d’un moratoire en Suisse. Aussi quand un ami m’a demandé de lui transmettre mes doutes sur les OGM pour une émission scientifique amateur, je me suis prêté au jeu.

L’émission a été diffusée il y a quelques semaines. L’invité était Marc Robinson-Rechiavi, professeur à l’université de Lausanne, et pro-OGM. Il n’y avait pas de contradicteur, mon avis – parfois mal compris – devant servir d’aiguillon.

Face à la violence des attaques, notamment sur le fait que la position anti-OGM soit assimilée aux conspirationnistes de tout poil, aux anti-vaccins et aux anti-science en général, j’avais pensé faire une réponse point par point en mettant en avant les analyses pertinentes (p.e. les différentes catégories d’OGM) et les erreurs (p.e. sur les organismes invasifs ou sur l’homologation des semences agricoles non-OGM). Mais après plusieurs heures d’un fastidieux labeur (écouter, stopper, revenir en arrière, réécouter, retranscrire, contrôler les sources, commenter, etc.) pour 30 minutes d’émission (sur plus de 2h), il m’a semblé plus intéressant de donner ma position sur les OGM, sous la forme d’un interview virtuel:

 Marc Robinson-Rechiavi a indiqué qu’il avait commencé à s’engager pour les OGM suite à la publication de l’étude Séralini. Il considère cette étude comme une vaste imposture, vous aussi?

Tout le monde s’en souvient, le débat sur les OGM a été relancé en 2012 lors de la publication d’une étude voulant démontrer que les rats ayant consommé du maïs OGM développaient plus fréquemment des cancers.
A la lecture de cette étude, on comprend vite que sa grande faiblesse réside dans le nombre d’individus étudiés. En effet, chaque groupe de rats (10 par lot et sexe) étudié était trop petit pour éviter les biais statistiques.
Autrement dit, il est impossible de conclure quoi que ce soit suite à cette étude. Les pro-OGM ne s’y sont pas trompés et ont largement pointé le problème.

Bon, alors l’étude Séralini, à la poubelle!

Si l’étude ne permet pas de conclure à la dangerosité des OGM (ni à leur innocuité), elle a cependant une utilité: son effet miroir.
En effet, le nombre d’individus (10 par lot et sexe) et conforme au minimum requis par les autorités chargés de la sécurité alimentaire, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ANSES (voir la page deux de ce document) et l’autorité européenne de sécurité des aliments EFSA (voir le chapitre 6.1.5 de ce document).
Donc plus les pro-OGM critiquent les faiblesses de l’étude Séralini, plus ils critiquent par ricochet les études conduites jusqu’à présent pour prouver l’innocuité des OGM.

Conséquence directe de l'”affaire Séralini”, l’EFSA a poser un cadre pour des études plus longues et avec plus d’animaux, notamment dans le cas d’étude sur des aliments entiers.

Mais alors finalement, les OGM, c’est bon ou c’est pas bon pour la santé?

Tout comme Marc Robinson-Rechiavi, je ne suis pas un spécialiste des questions de santé et je dispose d’aucune formation dans le domaine. Mais contrairement à lui, je ne m’exprimerai donc pas sur la question.
Tout au plus puis-je suggérer la prudence à l’heure où les bases de la toxicologie sont en train de vivre un tsunami conceptuel avec la remise en cause du principe de Paracelse que c’est la dose qui fait forcément le poison.

Pour les mêmes raisons, je ne m’exprimerai pas non plus sur les importantes questions éthiques que posent les OGM, ni sur les aspects économiques.

Et si c’est pas pour des questions de santé, pourquoi est-ce que vous êtes contre les OGM?

Ma première crainte est liée à la dissémination. Avec les OGM, on introduit dans l’environnement des gènes ou des groupes de gènes qui ne s’y trouvent pas forcément ou sous une autre forme. A l’instar des organismes invasifs, le risque est que des OGM ou d’autres organismes qui auraient “récupérés” ces gènes deviennent incontrôlables.

Mais M. le Professeur Robinson-Rechiavi a dit qu’il n’y avait pas de risque puisque les organismes sélectionnés pour l’agriculture sont moins compétitifs dans la nature que les organismes indigènes.

En théorie, il a peut-être raison, mais dans la pratique (que je connais mieux), il a tort. En effet, il suffit de consulter la “liste noire” (liste des plantes invasives les plus problématiques) pour se rendre compte qu’elle contient des espèces horticoles ou agricoles sélectionnées (le buddleia a été sélectionné pour la beauté de ses fleurs, le topinambour pour sa production en tubercule, etc). Il en existe même dans le campus où travaille M. Robinson-Rechiavi et où un parcours didactique y a été dédié.

En fait, dans les pays qui cultivent intensément des plantes OGM, on en trouve déjà qui se baladent dans la nature.

Ok, mais des organismes invasifs, ils en existent déjà, qu’est-ce qui ça changerait avec les OGM?

Premièrement, ce n’est pas parce que ce problème existe déjà qu’il ne faut pas prendre des mesures pour éviter de l’aggraver. Marc Robinson-Rechiavi nous dit que les invasifs existent déjà et donc, il n’y a pas de raison d’interdire les OGM pour cette raison. Appliquer par exemple à la politique de la drogue, ça donnerait: “Il faut autoriser l’héroïne vu qu’il y a déjà des drogues légales comme l’alcool ou le tabac”. On voit ainsi comme cet argument n’a aucun sens dans une politique publique de réduction des risques.

Par ailleurs, en donnant à un organisme la faculté de se défendre contre un insecte ravageur, on peut imaginer que celui-ci a un avantage compétitif face au même organisme qui n’aurait pas cette caractéristique. Autrement dit, son risque de devenir invasif semble plus important.

Par ailleurs, si un organisme OGM peut partir à la conquête des surfaces hors des champs, il peut aussi transmettre ses gènes à des espèces sauvages que ce soit avec une variété sauvage de la même espèce, par croisement avec une espèce proche ou par transmission à un espèce éloignée (“transmission horizontale”).

Même si ce risque de transmission entre espèces a été considéré comme très faible, imaginons l’impact sur l’environnement si le gène produisant l’insecticide passe à une espèce commune, le pissenlit, la marguerite, le pâturin. Non seulement, ça aura immanquablement un très fort impact sur les populations d’insectes, pas seulement dans les champs, mais dans tous les milieux naturels (réserves y compris), mais en plus, c’est le meilleur moyen de développer des résistances.
Imaginons que les gènes de résistance à l’herbicide passe au chénopode blanc (une mauvaise herbe) ou pire à la renouée du Japon (une invasive dans un des seuls traitement qui marche est justement l’herbicide).

D’accord, mais les gènes introduits dans les plantes OGM se trouvent déjà dans la nature. Ainsi le gène permettant de lutter contre la pyrale introduit dans le Maïs Bt est issue dune bactérie.

Effectivement, mais en multipliant le nombre d’espèce à porter ce gène ainsi que le nombre d’individus, on multiplie d’autant le risque et on favorise les résistances.

Remarquez que pour ce dernier point (favoriser les résistances), il n’est pas nécessaire que les gènes introduits passent à une autre espèce pour le constater.

Comment ça?

En 10 ans, il y a eu l’apparition de plus de 10 espèces de mauvaises herbes résistantes aux herbicides dans les régions des USA où des plantes OGM résistantes au Round-Up sont largement utilisés (les journalistes les ont surnommées les “superweeds”, les super-mauvaises herbes).

Ces résistances se sont probablement développées en réaction à la sur-utilisation d’herbicide (certains parlent d’une transmission de gènes, mais ça me semble moins probable). [ndlr: si qqun a des données là-dessus, je suis preneur]

Attendez! Vous parlez d’une sur-utilisation d’herbicide. Mais une des promesses des OGM n’étaient justement pas de baisser l’utilisation des produits phytosanitaires?

Ça dépend. Les OGM résistants aux herbicides (qui représentent l’immense majorité des cultures OGM aux USA) ont entrainé une augmentation de l’utilisation des herbicides.Cette tendance s’explique par le cercle vicieux dans lequel est pris l’agriculteur. Disposant de cultures résistantes à l’herbicide, il peut en épandre largement. Ce qui favorise les résistances, ce qui incite à augmenter les doses.

Dans le cas des plantes produisant un insecticide, la tendance est plutôt à la baisse de consommation des insecticides. Mais remarquez que ces derniers n’ont pas disparu, ils sont seulement dans la plante au lieu d’être pulvérisé dessus.

Vous nous avez beaucoup parlé de risques potentiels, mais ceux-ci ne sont-ils pas acceptables comparativement aux promesses des OGM?

Les gains sont relativement faibles. Si on prend les deux grandes familles d’OGM largement cultivés:
1) Plantes résistantes aux herbicides: le gain est dans la praticité, en effet on peut utiliser un herbicide sans risque pour la culture.
2) Plantes produisant un insecticide: le gain est dans la baisse (apparente) d’utilisation d’insecticide.

Dans le premier cas, la balance est assez claire. Comme on l’a vu, l’utilisation de ces plantes entraîne une augmentation de la consommation d’herbicides et l’augmentation des résistances. Il me semble que ce point-là uniquement l’emporte sur le gain en praticité.

Le second cas est plus susceptible de débat. En effet, en général il s’agit de plantes dans lesquelles on a introduit un gène extrait du Bacillus thuringiensis. Cette bactérie est utilisée également comme insecticide dans l’agriculture traditionnelle et biologique. Maitre, outre la différence de nature, cela correspond surtout à deux logiques différentes. La culture OGM suit le principe de l’arrosoir, c’est-à-dire une utilisation systématique à titre préventif. Dans l’agriculture biologique et dans l’agriculture raisonnée, les traitements ne sont appliqués qu’en cas de dernier recours, ce qui n’a pas le même impact sur le développement des résistances et l’environnement.

A mon sens, dans ce cas aussi, les risques cités plus haut l’emportent sur les gains potentielle. Mais ce qui renforce aussi mon avis dans ce sens, c’est le problème du “tout ou rien”.

Le “tout ou rien”?

Il est très difficile, voire impossible de cultiver une espèce OGM et la même espèce sans OGM dans la même région. En effet, le pollen des plantes OGM vient “contaminer” les plantes non OGM. L’agriculteur qui voudrait donc faire du sans-OGM ne pourrait donc plus le faire si on commence à introduire les OGM. Si on introduit des OGM, on renonce donc à la liberté de choix de l’agriculteur de ne pas cultiver d’OGM. Et pire encore, on enlève la liberté de choix du consommateur de ne pas consommer d’OGM.

Mais Marc Ronbinson-Rechiavi dit qu’il n’y a aucun risque pour la santé et que donc la volonté des consommateurs de ne pas consommer d’OGM est irrationnelle. Pour cette raison, de nombreux partisans des OGM sont d’ailleurs contre l’étiquetage des produits OGM qui ne servirait qu’à alimenter les peurs.

Là, il ne saurait y avoir de plus grand désaccord entre les partisans des OGM et moi. Si les consommateurs ne veulent pas manger d’OGM, c’est leur choix. Et ne pas étiqueter les produits revient à faire avaler des produits au consommateur contre son gré. Ce n’est pas ma conception de la liberté.

Pour prendre un exemple comparable. Il y a actuellement une mode du “sans gluten”. Au delà du petit cercle des personnes réellement allergiques au gluten, je pense que la majorité de celles et ceux qui consomment des produits sans gluten le font pour de mauvaises raisons. Mais jamais je demanderais à supprimer les mentions “sans gluten” pour les forcer à en manger.

A y regarder de plus près, le refus du consommateur de consommer des OGM est parfaitement rationnel et légitime dans un stratégie personnelle de limitation des risques. A l’exception du riz doré qui ne concerne pas notre pays, les OGM n’apporte aucune plus-value pour le consommateur. Et comme il n’a pas de critère discriminant pour plus croire M. Robinson-Rechiavi que les chercheurs et professeurs (MM. Moyen, Fournier, Bignon et Brochard) qui s’élevaient contre l’interdiction de l’amiante pendant les années 80 et 90, que les autorités sanitaires qui ont autorisé l’utilisation des farines animales (conduisant à la crise de la vache folle) ou favorisé la maladie de Creuzfeldt-Jacob par l’hormone de croissance.
Entre deux concombres, le consommateur va légitimement choisir celui qui n’est pas OGM. Le seul moyen de faire “avaler” les OGM au consommateur et donc de ne pas étiqueter les produits.

Mais les OGM apporte quand même un plus pour les agriculteurs, eux devraient donc être pour leur introduction.

En fait, l’Union suisse des paysans s’est prononcé pour la prolongation du moratoire des OGM, relevant notamment que “la culture de plantes génétiquement modifiées n’a pas d‘intérêt économique”. Ils relèvent aussi le problème du “tout ou rien” que j’ai cité auparavant. Mais je pense qu’il y a une autre raison à leur opposition non indiquée dans leur communiquée qui est d’ordre politique.

En Suisse (et en Europe), l’agriculture ne peut pas réellement survivre sans l’aide de l’état. Ainsi la Confédération a prévu un budget de 13,830 mia pour la période 2014-2017. Pour que le citoyen soit d’accord d’investir de telles sommes dans l’aide à l’agriculture, il faut que les paysans donne au public une bonne image de leur profession. Ainsi, ils misent sur la mise en avant de l’authenticité, de la qualité, de la proximité et du respect de la nature. Ou autrement dit, le gentleman agreement est le suivant: on subventionne l’agriculture mais vous nous fournissez des produits sains, de qualité et les plus naturels possible tout en ménageant l’environnement.

Difficile de vendre de l’authentique et du naturel avec des OGM. Les paysans l’ont bien compris.

Bon, ok pour l’agriculture suisse ou européenne, mais le riz doré?

Le riz doré n’est pas destiné à l’agriculture européenne. Ce n’est donc pas de ma compétence de politicien suisse. Malheureusement, comme c’est le rare exemple d’OGM à but a priori philanthropique. Il nous est dès lors servi à toutes les sauces, y compris dans les débats sur les OGM en Suisse.

Je n’ai pas particulièrement étudié le cas du riz doré, même si son principal inventeur (Ingo Poltrykus) nous en a fait largement l’apologie dans ses cours. D’un oeil tout à fait extérieur, il me semble que le principal défaut est que c’est une solution top-down. Ce qui est un travers très répandu dans l’aide au développement.

J’aurais beaucoup à dire sur les problèmes liés à l’aide au développement et à ses travers, notamment sur la base de mon expérience de coopérant en Asie centrale, mais ce sera pour un prochain post.

En attendant, en guise de clin d’œil final, je vous retranscrit un extrait de la cinquième promenade de Jean-Jacques Rousseau tiré de “Les rêveries du promeneur solitaire” (Oeuvres posthumes de J. J. Rousseau, tome neuvième, Neuchâtel, 1782), revu et corrigé à l’ère OGM :
“Rien n’est plus singulier que les ravissements, les extases que j’éprouvois à chaque observation que je faisois sur la structure et l’organisation végétale, et sur le jeu des parties sexuelles dans la fructification, dont le système étoit alors tout-à-fait nouveau pour moi. La distinction des caractères génériques, dont je n’avois pas auparavant la moindre idée, m’enchantoit en les vérifiant sur les especes communes en attendant qu’il s’en offrit à moi de plus rares. La fourchure de deux longues étamines du maïs Bt, le ressort de celles du soja transgénique et du MON 863, l’explosion du fruit de la patate OGM et de la capsule du coton GHB614, mille petits jeux de la fructification que j’observois pour la premiere fois me combloient de joie, et j’allois demandant si l’on avoit vu les corne du colza GT73 comme La Fontaine demandant si l’on avoit lu Habacuc”